Nous entrons dans une période difficile. Nous ne l’avons jamais connue.
Parfois, nos grands Anciens nous racontaient des morceaux de leurs temps durs. De guerres, d’exil, de déportation, de souffrance, de maladie, de deuil, de restrictions, de famine… Nous les écoutions parfois d’une oreille trop distraite, pensant que c’était du passé. Du jadis, du naguère, de l’autrefois. On n’y était pas, alors on ne comprend pas vraiment, on ne peut pas comprendre vraiment. Malgré toute l’empathie naturelle qui caractérise l’Humain, la compassion est là, mais la compréhension l’est-elle ?
Comprendre : du latin cum, avec, et prehendere, prendre, saisir. Comprendre, c’est saisir l’objet, la personne, l’idée, avec son intelligence.
Comprendre, c’est vivre cette expérience réelle ; non pas se la faire conter, ni la lire dans un livre, mais la vivre soi-même. L’expérimenter dans toutes ses dimensions, avec ses 5 sens, y être au cœur, y être impliqué, que cette expérience s’inscrive dans notre for intérieur, que tout d’un coup une connexion se fasse, entre le sujet et l’objet. Les deux sont liés. Le spectateur devient acteur, il n’y a plus le parterre et l’estrade, il n’y a que la salle, pleine à craquer.
Nous sommes là, nous y sommes, hic et nunc. Nous le sentions arriver et là nous le vivons. Nous sentons déjà que ça laissera des traces. Douloureuses et indélébiles, Si proches et si distantes. On pense à nos proches bien sûr, mais ils sont loin… On ne sera pas là, on ne pourra pas être là, physiquement, pour eux. Confinement. La dernière fois qu’on les a vus, c’était peut-être la dernière. Et ça fait mal.
Et alors on commence à comprendre, ce qu’ils nous racontaient, nos grands Anciens. On aimerait tant revenir en arrière. Rentrer dans une machine, tourner un bouton. Reset. Revivre et profiter de chaque instant. Leur dire plus souvent qu’on les aime. Écouter plus souvent leurs conseils. Les serrer fort dans les bras. Éviter les chamailles inutiles.
Dans cette uchronie, on aimerait changer la course des choses. Ne pas céder sur ce qui était inacceptable. Ne plus se courber devant les incohérences manifestes, les manipulations politiques, le travail soi-disant urgent, la bureaucratisation à outrance, la dissolution de l’humain dans l’appel à projet. Refuser de cautionner. Ne plus garder le silence par crainte.
Mais la vie est un brouillon que l’on ne peut pas remettre au propre.
L’expérience vécue nous modifie certainement. Nous la vivons à travers nos propres filtres. Chacun possède ses propres filtres, qu’il s’est lui-même construit par ses expériences précédentes. Et cette nouvelle expérience va agir, elle modifiera nos filtres de pensée. Le monde après nous apparaîtra différent. Nous changerons de lunettes, de vision, car nous aurons compris. Nous risquons d’être éblouis un bon moment par cette noirceur putride. Peut-être ne nous reconnaîtrons plus nous-mêmes. Mais nous connaissions-nous nous-mêmes, avant ? Nous connaîtrons-nous seulement un jour ?
Dans cette période difficile, sachons garder notre discernement, notre humanité, notre soif d’apprendre, de comprendre et de partager. Nous le savons déjà… nous allons gémir, mais nous allons aussi espérer…