J’ai commencé à apprendre la langue des signes française (LSF) en 2009. Il y a bien des motivations pour apprendre cette langue : certains par curiosité et envie de découvrir une langue bien différente des langues orales et écrites (c’est mon cas), d’autres parce qu’ils s’intéressent à cette partie de la population afin de trouver des liens communs (c’est aussi mon cas, pour la vulgarisation des sciences vers ce public), d’autres parce qu’ils ont dans leur entourage des personnes sourdes, d’autres enfin parce qu’ils deviennent mal-entendant ou ont subi un accident les rendant sourds (cela peut arriver à tout le monde !).
En première année nous apprenons surtout du vocabulaire mais pas vraiment d’éléments pour comprendre l’histoire des sourds et la culture sourde. En 2011, j’ai lu un livre qui complète très bien ce manque : « Les sourds, c’est comme ça », de Yves Delaporte, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris – ISBN 2-7351-0935-6 (28 €).
En janvier 2011, j’ai rédigé un avis sur ce livre pour le communiquer aux autres personnes inscrites au cours de LSF. Il me semble utile de partager cet avis. Plus tard, j’ai trouvé un autre avis de ce livre par Jérôme Souty sur le site sciencehumaines.com. On y retrouve (heureusement !) les mêmes remarques.
Voici :
C’est le livre par lequel toute personne entendante devrait commencer, motivée pour apprendre la LSF, ou étant en relation avec des sourds (famille, amis…) !
Son auteur est ethnologue : habituellement, l’objet d’étude des ethnologues sont les ethnies, c’est-à-dire des groupes, parfois restreints, de personnes ayant une culture commune. Mais ici, l’ethnologue aborde les sourds, dans leur ensemble, comme une population à part, diluée bien malgré elle au milieu d’une population de non-sourds (nommés « entendants »). Sa démarche est vraiment celle d’un scientifique voulant s’intégrer au mieux à la population qu’il étudie, pour mieux en comprendre le fonctionnement de l’intérieur, les points de ralliement entre individus, les traditions, les tensions possibles, l’humour, et surtout les visions réciproques entre les sourds et les non-sourds.
Il retrace l’histoire et les traits caractéristiques des sourds, faisant référence au lourd passé d’interdiction de la langue des signes, et tout ce que ceci a pu induire comme rejet, plus tard, de la culture audiocentriste dans laquelle ils sont immergé (voire même submergés).
Un entendant prenant la peine de lire ce livre en entier comprendra l' »esprit » sourd, cette fierté d’appartenir à une population rare, où la surdité est une identité, un « signe » de reconnaissance quasi-universel, et non un handicap comme la plupart des entendants le pensent ou l’ont décidé. (Cela étant, il y a des sourds qui s’estiment handicapés dans le sens où ils regrettent de ne pas pouvoir connaître le chant des oiseaux ou ne pas comprendre ce qu’est véritablement une musique, ou encore parce qu’ils peuvent se retrouver dans des situations d’urgence où ils ne peuvent pas agir comme tout le monde ; par exemple une alarme incendie.)
L’auteur évoque les différentes manières que les entendants ont eu pour nommer les sourds : sourds-muets, sourds-parlants, silencieux, déficients auditifs, malentendants, oralistes ou non… Certaines de ces appellations sont très maladroites et n’ont de sens que du point de vue de la culture audiocentriste. Car, du points de vu des sourds, des vrais sourds, soit on est (on naît) sourd, soit on ne l’est pas : un « malentendant » n’est pas un sourd ; un « devenu-sourd » à 20 ans ne peut pas être dans la véritable culture sourde car sa personnalité est déjà formatée « entendant » ; le « devenu-sourd » est par contre considéré comme un entendant subissant un véritable handicap, car n’étant plus intégré dans sa culture d’origine. Dans le monde des entendants, toutes les tentatives d’appellation échouent, soit parce que, considérant la surdité comme un handicap (donc un trait négatif) essayent de périphraser le mot « sourd » (tout comme on périphrase « femme de ménage » par « technicienne de surface », ou « clochard » par « personne sans domicile fixe »…), soit parce que le terme « sourd » est compris par la plupart des entendants non-sensibilisés comme « personne qui n’entend pas bien et à qui il faut parler encore plus fort » !
Par symétrie, les entendants sont naturellement vus par les sourds comme des « non-gestuels », des « parlants », de personnes d’aspect figé ne communiquant que par mouvement rapide des lèvres, comme des handicapés de l’expression visuelle. Les entendants voulant imposer des implants sont même considérés comme des personnes voulant à terme éradiquer la culture sourde, comme une sorte de génocide ! Le livre donne aussi les fausses idées que les sourds se font des entendants.
Le fait que les sourds soient dilués, et pourtant partout, au milieu d’une population entendante implique beaucoup sur les relations entre sourds, les us et coutumes, les rituels de présentation, l’importance des lieux et temps de retrouvailles et de fête, la difficulté des rencontres. On comprend alors, qu’avec le développement de l’Internet et des systèmes de visioconférence, des échanges de vidéo, les téléphones portables modernes, toute cette communication puisse être exhaltée et qu’il s’agit d’une véritable révolution dans le monde des sourds.
L’auteur insiste aussi sur un préjugé souvent fort des entendants à propos de la langue des signes, que celle-ci serait simplement une transcription en signes du français (ce qui n’est pas le cas puisque la vraie langue des signes possède sa propre syntaxe et sa propre grammaire spatiale, ses propres nuances) ou encore ne serait pas capable de produire une pensée abstraite puisque basée sur le visuel, le concret… et donc ne produirait que des personnes capables de tâches physiques, mettant de côté les métiers à réflexion.
En résumé, ce livre permet de comprendre tout le ressenti, il impose une réflexion sur la notion même de « langue » ou de « culture ». Il change les points de vue sur la communication, il donne toutes les bases pour s’intégrer au mieux et être accepter au mieux parmi les sourds. Ou au minimum, il évitera aux entendants des comportements navrants pour les sourds.